Coup de cœur RECHERCHE
Projecteur sur des pathologies rares : les maladies héréditaires du tissu conjonctif
Le 11 mai 2023, le Dr Raed Lattouf a soutenu avec succès sa thèse de Doctorat à la Faculté de Médecine Dentaire de l’Université Saint Joseph de Beyrouth (USJ), partenaire de l’EBI. Ses travaux de recherche, initiés sous la direction du Professeur Gaston Godeau (Université Paris Descartes), ont été poursuivis en thèse sous les directions du Professeur Nada Naaman de l’USJ et du Dr Karim Senni, HDR, Responsable de l’Axe de Recherche Biotechnologie au sein de notre unité de Recherche EBInnov®. Les travaux menés par Raed Lattouf ont mis en lumière la complexité des interactions macromoléculaires matricielles et de leur contrôle sur le remodelage tissulaire lors de pathologies génétiques affectant les tissus conjonctifs.
Les tissus conjonctifs sont des tissus d’origine mésenchymateuse, comme le derme, les tissus osseux et vasculaires, ou encore les cartilages, qui assurent de nombreuses fonctions de soutien et de résistance mécanique. Les tissus conjonctifs sont ainsi soumis à de fortes contraintes, qu’ils compensent grâce à la résistance des réseaux macromoléculaires de leur matrice extracellulaire (collagéniques, élastiques), et à leur capacité de remodelage sous le contrôle de leurs cellules (fibroblastes, ostéoblastes, chondrocytes…). Ce remodelage tissulaire est un paramètre essentiel de l’homéostasie tissulaire, équilibre dynamique entre anabolisme et catabolisme (synthèse vs dégradation tissulaire, prolifération et différentiation vs mort cellulaire).
Les pathologies héréditaires des tissus conjonctifs se caractérisent par la mutation d’une des protéines de la matrice extracellulaire, ou d’une enzyme impliquée dans leur maturation. Multi-systémiques, leurs signes cliniques conduisent à une altération majeure de l’homéostasie tissulaire, marquée par une défaillance des tissus les plus soumis au stress mécanique.
Parmi ces pathologies rares (prévalence 1/5000), le syndrome de Marfan, dont l’atteinte de la fibrilline 1 (glycoprotéine associée au réseau élastique) est bien caractérisée, et les syndromes d’Ehlers Danlos classés aujourd’hui en 13 syndromes affectant principalement des collagènes, des enzymes associées à leur maturation, ou d’autres protéines associées aux réseaux collagéniques. Ces syndromes constituent de très bons exemples pour illustrer les relations qu’entretiennent les différents acteurs du remodelage tissulaire.
Les patients atteints du syndrome de Marfan présentent dans la majorité des cas des atteintes musculo squelettiques (déformations thoraciques, allongement des os longs, hyperlaxité articulaire), vasculaires (dilatation aortique), oculaires (ectopie du cristallin), pulmonaires (pneumotorax), cutanées (stries atrophiques, hyper-extensibilité).
Les symptômes associés aux syndromes d’Ehlers Danlos sont très variés, avec des signes cliniques plus ou moins présents selon le syndrome au niveau articulaire (hyperlaxité, douleurs chroniques), vasculaire (risque de rupture d’anévrisme), ou cutané (hyper-extensibilité, retard à la cicatrisation).
Comme énoncé par Holbrook et Byers en 1989, la peau est considérée comme une fenêtre ouverte pour l’étude de ces pathologies systémiques conjonctives. Ainsi, l’étude histologique de la peau de ces patients permet de spécifier les atteintes conjonctives.
Les travaux de Raed Lattouf ont tout d’abord consisté à étudier des biopsies cutanées de patients de plusieurs classes d’âges atteints de syndromes de Marfan et d’Ehlers Danlos classique (cEDS), vasculaire (vEDS), et hypermobiles (hEDS), prélevées à des fins de diagnostics anatomopathologiques par des services de dermatologie (hôpital Saint Louis, AP-HP, Pr C Blanchet Bardon). Ensuite, les expérimentations ont porté sur l’étude du comportement de fibroblastes dermiques de deux patients atteints d’Ehlers Danlos classique, afin de spécifier les capacités de ces cellules à remodeler leur environnement tissulaire. Ces fibroblastes, fournis par le service de Dermatologie de l’Hopital Avicennes (AP-HP, Pr F Caux), ont été cultivés dans un tissu conjonctif reconstruit.
L’utilisation de colorants histologiques comme le rouge de picrosirius pour les fibres de collagène et la (+) catéchine-fuchsine pour les fibres élastiques, associée à l’analyse histomorphométrique, a montré des altérations simultanées des réseaux collagéniques et élastiques dans tous les syndromes étudiés. Les études immunohistologiques détectant deux protéines majeures de ces réseaux (fibrilline-1 et collagène III) ont confirmé les résultats histochimiques. En conclusion, ces études structurales ont montré que quelle que soit l’atteinte génétique primaire, une collagénopathie est aussi une élastopathie, et vice-versa.
La nature des altérations permet aussi d’envisager un processus dégénératif résultant d’une dégradation accrue des composants de la matrice extracellulaire. En effet, quel que soit le syndrome, et pour tous les patients étudiés, il a été observé une expression anarchique des métalloprotéases matricielles, acteurs essentiels du remodelage tissulaire.
Pour aller plus loin, des fibroblastes de patients cEDS ont été cultivés dans un modèle de derme reconstruit in vitro et comparés à des fibroblastes issus de sujets sains. Après 3 semaines de culture, les dermes reconstruits ont montré un réseau collagénique altéré, caractérisé par de nombreuses zones de lyse mimant les désordres observés dans les biopsies cutanées de patients atteints du même syndrome. Ces dermes pathologiques reconstruits étaient de plus associés à une surexpression ou à une suractivation de certaines métalloprotéases matricielles, telles qu’observées ex-vivo.
En conclusion, ces travaux et ceux menés précédemment dans l’équipe du Pr Godeau montrent que l’altération d’une molécule de la matrice extracellulaire affecte non seulement les réseaux macromoléculaires qui lui sont directement associés, mais aussi l’ensemble du tissu conjonctif. Ces défauts structuraux occasionnent de mauvais signaux adressés aux cellules, qui adoptent alors des comportements inappropriés, altérant durablement le remodelage tissulaire vers un processus dégénératif provoqué par la surexpression de leur potentiel protéolytique. Ces résultats laissent penser que des thérapies impliquant un contrôle des activités protéolytiques permettraient de soulager les patients, ou de ralentir les dégénérescences tissulaires systémiques observées dans toutes ces pathologies.
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Pour aller plus loin :
Mots clés : Syndrome de Marfan, Syndromes d’Ehlers Danlos, collagènes, fibres élastiques, métalloprotéases matricielles, histomorphométrie, rouge de picrosirius, (+) catéchine fuchsine
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